Le développement local entre la trilogie : Progrès, croissance et réduction de la pauvreté

Par : Seide Jean Gardy et Alexis Hébreux

Trois approches s’affrontent en Anthropologie du Développement. L’une porte sur la déconstruction du ‘‘discours de Développement’’ souvent réduit de façon caricaturale à un seul modèle hégémonique et maléfique. La seconde approche est de type populiste : liée à un populisme à la fois idéologique et méthodologique. Populisme idéologique dans le sens qu’il exalte systématiquement les savoirs et pratiques populaires ; Populisme méthodologique dans le sens qu’il entend explorer les ressources cognitives et pragmatiques des acteurs, aussi apparemment démunis soient-ils. La troisième approche et celle que nous défendons dans notre travail, s’intéresse à ‘‘l’enchevêtrement des logiques sociales’’ et à l’hétérogénéité des acteurs qui se confrontent autour des opérations de Développement (Olivier de Sardan, 2005).

Non seulement cette approche refuse les visions normatives et idéologiques du développement (dans un sens ou l’autre) au profit d’enquêtes empiriques, mais encore, elle va souvent au-delà de la sphère du développement institutionnel, pour prendre en compte son articulation avec d’autres phénomènes, tels que, les modes locaux de gouvernance, le pluralisme juridique, l’état au quotidien, les réseaux sociaux, les normes professionnelles, les dysfonctionnements des services publics, l’économie informelle, etc. (Olivier de Sardan, 2005).

Cette Anthropologie académique dont nous revendiquons se veut une Anthropologie qui rapatrie la notion de développement comme objet d’étude et qui explore minutieusement les interactions de toutes natures intervenant dans le monde du développement, mettant en jeu représentations et pratiques, stratégies et structures, acteurs et contextes (Olivier de Sardan, 2005).

Le thème du développement n’est qu’un thème parmi beaucoup d’autres, mais qui offre quelques particularités : pour les pays du Sud, et surtout en Afrique il est omniprésent et ‘‘incontournable’’, il est constitutif d’enjeux sociaux importants au niveau local comme au niveau national, et il est tissé d’interactions entre des acteurs relevant de mondes sociaux et professionnels particulièrement hétérogènes.

Comprendre le développement local et la trilogie : progrès, croissance et réduction de la pauvreté

Tout discours axé sur le particulier suscite un débat au préalable sur le tout. Ce qui signifie que le développement local ne peut pas être compris si l’on ne se réfère pas à la définition globale du développement qui consiste selon Touraine dans sa théorie de l’action au résultat des rapports dialectiques entre trois types de mouvements : sociaux, action critiques, innovation.

C’est aussi une stratégie en économie du développement mettant l’agriculture au service de l’industrie. Ces approches ne nous expliquent pas encore ce qu’est le développement local, mais, nous donne un rayon de lumière. Le développement local est une approche qui vise la création d’un milieu permettant l’adaptation des collectivités en difficultés, les mettant à jour en ce qui concerne la vision actuelle de l’économie, du développement, de l’organisation sociale etc.

Mais, dans quelle mesure l’approche du développement local peut permettre un saut qualitatif en termes de croissance et de réduction de la pauvreté en Haïti ?

On peut étayer notre discours en disant qu’en science il n’y a pas de synonyme mais d’équivalence. De même qu’on peut considérer le Saut Qualitatif comme équivalent au concept progrès, pas selon la vision évolutionniste faisant croire que certaines cultures ont une valeur de supériorité par rapport à une autre. Mais, dans celui de l’accumulation des données objectives, de la réponse d’une génération à la précédente, du passé sur l’actuel et de leur application qui permettent l’amélioration du sort de l’humanité. Et, l’histoire est de part la conservation et que c’est elle qui produit le progrès. Définition qui convient à celle de Condorcet dans le tableau des progrès de l’esprit humain (Condorcet, 1988).

On peut dire que le développement local en matière de Saut Qualitatif ou progrès peut favoriser le développement de la technique par l’accumulation des connaissances d’une génération à une autre. L’amélioration des techniques de la pêche, de l’agriculture, l’élevage, du tourisme, etc. D’une collectivité qui profitera au développement local et améliorera les conditions de l’humain, occasionnera une certaine égalité sociale. D’où, une déconcentration, une décentralisation des biens et services etc. (Aron, n.d.).

Le développement local propose des éléments valables face aux mésadaptations individuelles et collectives et constitue un élément de stratégie dans laquelle les acteurs sont les bénéficiaires. Bien que spatio-temporel et propre à un groupe social, il constitue un élément de résistance à la modernisation qui ne tient pas compte du relativisme culturel et des ressources, des spécificités géographiques, démographiques, environnementaux etc. Ce qui veut dire que le développement local ne peut pas consister en l’application de théories toutes faites dans une localité donnée. Sans ne pas se prolonger dans un localisme ou ethnocentrisme idéologique et d’action, cette nouvelle vision du développement local consiste à remplacer les rapports de domination ou de dépendance (Labrecque, 2000).

Le Saut Qualitatif peut être dû par le progrès de la technique dans l’économie au rythme de l’investissement qui est un facteur qui ne peut dépendre exclusivement de l’extérieur. Contrairement à la logique de la modernisation, axée seulement sur le profit dans les collectivités, il faut dire que le progrès de la technique est un processus qui induit à la croissance économique.

On considère la croissance comme étant le processus cumulatif d’augmentation de la production et du potentiel de la production. Le développement local qui induit à la croissance économique peut se faire par diffusion culturelle, c’est-à-dire en procédant de la même manière que d’autres peuples tout en tenant compte de nos spécificités culturelles ; également par emprunt des techniques, enfin par des initiatives locales qui permettent de cumuler, d’augmenter la production et également la capacité de produire afin de répondre aux exigences de l’économie actuelle, à savoir l’économie de marché, etc.

Le développement local est cette pratique économique, sociale, politique, culturelle voulue par la population qui permettra la croissance économique. Compte tenu que des projets venus de l’extérieur font souvent objets d’échecs vue le désintéressement que manifeste la collectivité. Et, le fait qu’ils se sont investis eux-mêmes au changement de leur condition leur permettra un degré de satisfaction et une qualité de vie supérieure. Ce mode ou niveau de vie supérieur ou meilleures conditions d’existence, voulu par la population s’obtiendra par l’utilisation des ressources disponibles et aussi celles créées à partir des projets mis en cours c’est-à-dire le système socioéconomique mis en place (Jean-Baptiste, 2007; Pierre-Marie, 2012).

Cette croissance endogène peut être vue comme un processus auto-entretenu, se développant à taux constant et impliquant les rendements des facteurs cumulables sont eux-mêmes constants. L’amélioration de la technique et la croissance économique sont étroitement liées à l’accumulation du capital au sens marxien du terme. Accumulation résultant des investissements dans les secteurs de la santé, de l’éducation, du transport etc. D’où un rapport étroit entre augmentation du taux de croissance et capital humain (Rist, 2007).

Le développement n’est pas l’impact d’une culture plus haute sur une culture simple et passive comme le voit Malinowski dans The Dynamic of Culture Change (Malinowski, 1970).
Le développement local se veut comme la maitrise de la collectivité dans toutes ses dimensions afin de trouver des solutions à long terme aux problèmes des collectivités en déséquilibre sans pour autant ne pas nier le grand bond que peut permettre la concertation. La croissance est porteuse d’amélioration des conditions de vie d’où une réduction de la pauvreté (Passède, 2001).

La pauvreté, s’il nous faut une définition, c’est la condition de vie existante en dessous du strict minimum fixé par la société globale.[1] Par exemple, actuellement en Haïti, ceux qui vivent en dessous du salaire minimum fixé à cent vingt-cinq gourdes selon la réalité sociale. Bien que rejeté par plusieurs, c’est le revenu minimum fixé par l’État haïtien (Lundahl, 2010).

Par conséquent, les rapports qui unissent les hommes et femmes entre eux sont inégalitaires, d’où des rapports de domination. Beaucoup d’individus doivent faire face à cette situation difficile. Il est prouvé que l’accumulation du capital est source de richesse et de pauvreté. Les théories de la dépendance expliquent bien cette réalité (Rist, 2007). Les riches tirent leurs richesses dans l’appauvrissement des pauvres, les inégalités sociales existantes qui sont sources d’anomie, de désintégration sociale, de désorganisation sociale, de criminalité, de frustration, de honte, de déviance, etc., occasionnés par le revenu minimum qui ne peut assurer ni logement, ni vêtement, encore moins de la nourriture (Lundahl, 2010). Les inégalités scolaires, celles du niveau et de mode de vie inscrivent la personne dans une trajectoire de misérabilité, de pauvreté extrême. Il est clair que la pauvreté implique encore de la pauvreté : grossesses précoces, insuffisance alimentaire, alcoolisme, incapacité familiale de répondre aux exigences de l’école, cette dernière qui écœure souvent ceux qui sont des masses défavorisées. Eux, qui sont les éternelles victimes, qui ont des emplois précaires et sous-payés. Ce très grand écart entre dépense, consommation et besoin fait des pauvres une majorité, d’où une société duale (Jean-Baptiste, 2007).

Le développement local peut et doit réduire la pauvreté à travers la création d’emplois, dans une approche humanisante, créer une vitalité sociale et ouvrir les portes à l’éducation et à la formation (Myrtil, 2018). Les investissements locaux dans les secteurs de la santé peuvent réduire la mortalité infantile et juvénile, et peuvent atténuer les discriminations. Le développement local peut, par des mécanismes de partenariat, créer un environnement propice aux initiatives locales, trouver des modes de production d’organisations sociales inédites. Où l’humain est force motrice de ce développement à travers des approches multiples, des forces endogènes, de la démarche globale intégrée (Pierre-Marie, 2012). Le développement local, étant ce rapport entre culture et économie, élément de résistance à la modernisation imposée, favorise le progrès dans les différents secteurs de la vie sociale, induit également la croissance, qui elle-même favorise la réussite matérielle et enclenche la compétition sociale (Labrecque, 2000). L’auto-investissement, la satisfaction sociale, la vitalité sociale, la réduction des inégalités sociales, la déconstruction d’une société bipolaire ne peuvent inéluctablement dépendre du plan global mais peuvent faire partie d’un plan global intégré (Chambers, 1997).

Si dans un pays où la déconcentration, la décentralisation, font l’objet de grand débat, il est évident que le développement local peut parfaire à cette macrocéphalie et faciliter de nouvelles approches en matière d’économie, du développement, de l’Anthropologie du développement, sociologie, de l’urbanisme, de la planification urbaine, etc.

Sur ce, on peut conclure que, comme l’Anthropologie, l’Anthropologie du développement ne saurait avoir une vision limitée du phénomène de développement. Comme nous l’avons démontré, aborder le développement dans une société suppose une approche holiste, ne laissant de côté aucun aspect qui soit susceptible de biaiser le processus au départ. Voilà pourquoi nous avons dit que la culture n’est pas à négliger dans un plan de développement. Tout projet de développement doit tenir compte du facteur humain et avoir comme finalité ou résultat la trilogie de départ à savoir progrès, croissance et réduction de la pauvreté (Olivier de Sardan, 2005).

 

Références

  • Aron, R. (n.d.). *Les étapes de la pensée sociologique*.
  • Condorcet, N. de. (1988). *Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain*.
  • Jean-Baptiste, M. (2007). *Développement local et lutte contre la pauvreté en Haïti*. Éditions Université d’État d’Haïti.
  • Labrecque, M.-F. (2000). *Développement local et enjeux culturels*. *Anthropologie et Sociétés*, 24(3), 61–80. https://doi.org/10.7202/015510ar
  • Malinowski, B. (1970). *The Dynamics of Culture Change: An Inquiry into Race Relations in Africa*. Yale University Press.
  • Olivier de Sardan, J.-P. (2005). *Anthropologie et développement : Essai en socio-anthropologie du changement social*.
  • Pierre-Marie, V. (2012). *Le développement participatif en Haïti : entre mythe et réalité*. C3 Éditions.
  • Rist, G. (2007). *Le développement : Histoire d’une croyance occidentale* (4e éd.). Presses de Sciences Po.
  • Touraine, A. (1973). *Production de la société*. Éditions du Seuil.

[1] Le moniteur no.109 du mardi 06 octobre 2009, article 2.-

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